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Contexte Dans le cadre du projet du Dictionnaire Des Francophones (DDF), la tâche qui confiée et dévolue à notre équipe algérienne est de prendre en charge le français algérien. C'est un travail de terrain. Notre préoccupation est lexicographique. L'objectif principal est d'observer, de prospecter, de récupérer, de choisir et de décrire les unités lexicales (mots et locutions) d'hier et d'aujourd'hui et en contexte algérien. La première édition du colloque du français algérien (fralg-1), organisée par le Laboratoire de recherche LOAPL de l'université d'Oran du 14 au15 juin 2020, fut l'occasion de faire un état des lieux du français algérien (fralg). C'était l'occasion de cerner toute la question de cette variante du français non-hexagonal. Au regard des nouvelles dispositions en matière de politique d'enseignement des langues du pays, la deuxième édition (fralg-2), organisée par l'Ecole Normale Supérieure d'Oran, s'était intéressée aux nouvelles réalités et mutations sociolinguistiques en Algérie. La troisième édition (fralg-3), qui sera organisée par l'Ecole normale Supérieure de Mostaganem, prendra en charge la genèse et l'évolution du fralg. Préambule Présent par son ancrage dans tous les secteurs clés, par sa littérature prolifique, sa presse suffisamment visible, influente et soutenue par des réalités historiques et socio-économiques, ainsi que par un partenariat, des échanges commerciaux particulièrement denses, une forte émigration et mobilité remarquable entre les deux rives, ... le français se maintient fort bien en Algérie. Il est omniprésent. Il reste également la forme préférée de tout ce qui a trait à l'ouverture et à la modernité. Il continue à servir de langue véhiculaire, de langue d'enseignement et de communication dans un environnement multilingue concurrentiel. L'algérien, quand il communique en français, fait souvent recours - peut-être ou parfois - sans le savoir à une quantité extraordinaire de mots « de chez nous » dits ou créés en français. Les Algériens se sont approprié(s) l'outil depuis longtemps (histoire oblige) ; aujourd'hui, ils en font un moyen de création. C'est pourquoi Yacine Derradji (2011) avait écrit : « Personne n'est surpris aussi d'entendre ou de lire des mots arabes et berbères insérés par la volonté du sujet parlant, dans le système de la langue française inhérents à sa personnalité ». Nous retenons au préalable que le français, à l'instar de toutes les grandes langues, n'a pas de contours très précis ou précisés et n'est pas utilisé de manière uniforme en France comme dans l'espace francophone. Par conséquent, il n'y a pas un français mais des français, il n'y a pas un dictionnaire de français mais des dictionnaires de français. Il est parfois nécessaire, quand il le faut, de plier la langue à son vouloir-dire. Ainsi, le français algérien s'est forgé dans le creuset algérien par divers éléments, il a pour assise le français commun aux Algériens : 1) Des expressions culturelles lexicalisées(idiotismes) propres aux Algériens souvent bilingues et parfois multilingues, des tournures algériennes naturalisées (francisées en partie), telles Bessif, Inchallah ; 2) Des calques, se trouver une fille, cacher le soleil avec un tamis ; 3) Des néologismes, taxieur, cycliste « réparateur de vélos », faire la chaîne,... Les nouvelles unités surviennent souvent pour combler un manque et remplir un vide (trou lexical). Ces néologismes attachés à leurs origines, à leur terre de naissance et s'intègrent sans heurt dans un continuum qui leur est favorable. On entend et on rencontre des mots algériens employés sciemment pour faire authentique ou pour signer son propre discours et/ou se l'approprier. Voilà, comment se noue une certaine solidarité entre les deux variantes (français de France et français algérien) et que se confirme l'idée que la diversité lexicale(variationniste) n'est pas un élan capricieux et fantaisiste mais une impulsion vitale qui remplit bien sa fonction communicationnelle. Le fralg embrasse tous les mots et toutes les locutions attestés dans l'usage du français en Algérie : presse écrite et orale, écrits littéraires, parlure, etc. Il soulève ainsi des interrogations et éveille la curiosité des « langagiers » tels Yacine Derradji, Dalila Morsly, Cherrad-Bencheffra Yasmina, Brahim Khettiri, Taleb Ibrahimi, Khaoula, et suscite l'intérêt des dictionnaristes. De la fin du XIXème siècle et jusqu'après la première moitié de XXIème où le français était seul, langue officielle et administrative, on y relevait déjà et on accréditait des mots et des expressions des différents registres (élan ou dynamique variationniste inévitable) dont se délectaient littérateurs (littérature coloniale, orientaliste, algérianniste et algérienne de langue française), chroniqueurs, ...sûrement pour faire vrai, c'est-à-dire pour mieux rendre compte. Nous pouvons vite en citer l'exemple de la cuisine et de la langue française qui ont toutes deux intégré : couscous, chorba, merguez ; mechoui, etc., et bien d'autres : 1) Mots : bezef, (besef, beseff), seroual (saroual, sarouel, séroual), chéchia, cachabiya, burnous, fkiret, chergui, erg, reg, sahel, méhari, halfa (alfa), charria, gourbi, guitoune, bled, clebs, toubib ; 2) Sigles, au nombre imposant : A.P.N., A.P.N., A.N.., B.C.A.,Cnep (acronymes)... 3) Collocations : Se taper un bain ; se taper un café, se taper une loubia ; sortir à la retraite( pour partir à la retraite), midi pile ( emploi adjectival de pile, pour juste), 4) Néologismes de sens :supporter (une équipe sportive), encadreur « directeur de recherche, encadrant », barbu « intégriste islamiste », doublant « redoublant » Toutefois, certains mots ont gagné « ont réussi » par leur introduction dans les dictionnaires, tels que : tamazight(Petit Larousse 1996),trabendiste, cadre(tableau de peinture), bliblis (Petit Larousse 2002), pataouète, trabendo, trabendiste (Petit Larousse 2003), taxieur(Petit Larousse 2020). Dans ce contexte sociolinguistique algérien complexe, alors, faut-il les recenser, les récupérer et les prendre en charge ? Oui, mais comment ? La question de comprendre et d'étudier cette autre forme du français suscite de multiples et de diverses interrogations qui toucheraient : a) La dynamique lexicale du fralg : création, innovations et transfert innovant ; b) Les procédés de formation et types de transfert ; c) Les traits phonétiques et morpho-lexicaux qui caractérisent le lexique français algérien ; d) Les « néologismes » transposés aujourd'hui dans l'usage et les pratiques. Nous organisons la troisième édition (fralg-3) afin : 1) De ressortir particulièrement la saillance des considérations sociolinguistiques et historiques fondatrices des particularités de cette variante algérienne, au point de capter l'attention et de donner une accroche, un point de départ à l'amorce d'une prise en charge sérieuse du fralg et de l'ensemble de ses propriétés ; 2) D'établir un catalogue des particularités linguistiques apparues dans le français algérien depuis plus d'un siècle et demi ; 3) D'identifier chacune de ces particularités en la rattachant à une communauté nationale, régionale et sociale ; 4) De rechercher aussi toutes les unités lexicales qui constituent des emprunts plus ou moins visibles ; 5) D'observer et d'analyser les procédés d'adoption des unités linguistiques étrangères par le français algérien, hier et aujourd'hui ; 6) De relever et de lister les innovations apparues et les tendances qui ont pris forme et rigueur notamment chez les jeunes. Enfin, nous avons l'entière confiance en nos collègues qui apporteront certainement des éléments de réponses à nos interrogations et à toutes les questions afférentes au sujet. Leurs contributions nous aideront sûrement à y voir plus claires et à continuer à travailler sereinement.
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